Une galipane de bernin

« Tiens, ce matin j’ai reçu par la poste…
— J’en ai l’eau à la bouche !
— Oh ! ce n’est pas du tout ce que vous croyez : c’était une brounégasse de 2 livres à grosses crouettes, la muiselle charnue, d’une longueur d’un pied embaumant le gougnot, accompagnée d’un dodu pavé de bernin, égournaillé de la veille, point troussotté à la machine, crépogneux à souhait, aussi salé qu’une doudouille fleurée de Brinon-sur-Beuvron.
— Quoi, une galipane de bernin !
— Oui, mais au poil.»

D’après Colette, extrait de A portée de main, cité dans « Les festins de Balthazar une « anthologie de la littérature gourmande » présentée par Alain Senderens, sous le titre :  » une tranche de pain bis. »

Chinoiseries

Mis en présence d’un nid d’hirondelle à la citronnelle, l’Occidental se prend à user de baguettes comme il se cure le nez à un feu rouge, machinalement. Qu’il se sente observé, il arrête là son ménage, jette des regards furtifs, sifflote un air improbable, cale.

Observons-le ostensiblement à table, à l’œuvre…

Il s’emmêle les pinceaux, il pointe une baguette vers le plafond, en fait tomber une autre à terre, en plante une troisième dans un bol de riz et lâche un morceau de manger insectifuge à la citronnelle qui se métamorphose en anoure.

Anoure chez qui la petite tête verdâtre, la taille de guêpe humide et la peau de pêche visqueuse annonce au citadin la grenouille.

Évènement rare, certes, cependant qu’attesté chez les meilleurs auteurs. L’étonnement du lecteur s’explique par un fait attristant : le Français ne lit plus, il écrit son autobiographie sur son pas de porte.

À ce stade du récit, la question qui se pose n’est pas : « Est-ce possible ? » mais : « Que faire ? » Oui, que faire d’une grenouille qui, au chapitre CLXXXVIII de Ma Vie et Moi, vous tombe impromptue sur les bras ? L’orthodoxie des contes qui préconise le chaste baiser fait l’impasse sur la vérification préalable du sexe : « T’es une mémère ou un pépère ? » susurre l’autobiographe.

Tétanisée par cette langue inconnue d’elle, la bête ne répond pas, puis, remise en fonction par un mécanisme complexe, elle fuit en arabesques, jetés, cabrioles, déboulés, pirouettes, soubresauts, élévation, ballon…On le voit, du moins on l’imagine, de bond en bond tout n’est qu’impétuosité.

Rumeurs admiratives dans le public.

Et l’homme ne se trouve-t-il pas fort dépourvu ? Si. Mais laissez-moi poursuivre — hum, ce hongputaojiu, est un petit vin de pays sans prétention qui, en vieillissant, fera un excellent vinaigre — je reprends : l’homme qui tente de rattraper son manger, court de droite à gauche mais vite épuisé, tire bientôt l’échelle, jette l’éponge et, en lieu et place des leeches au sirop, commande une arbalète.

« Dîtes-moi, on ne s’ennuie pas à la Pagode Impériale du Tigre de Jade !

— C’est ainsi dans la restauration extrême orientale. Mais examinons ensemble l’arbalète. Elle nécessite, pour une utilisation dans les règles de l’art, une lecture attentive de son mode d’emploi dont on exigera la traduction en français moderne. Ceci fait l’amateur s’interroge encore : « Où atteindre la cible qui me nargue ? » Observez, cher ami, la planche anatomique D2 représentant l’animal dans le plus simple appareil. Allons, ne rougissez pas, chaussez vos yeux de peintre, donnez-moi la main et repérons ensemble l’emplacement du cœur.

— là ?

— Un peu plus haut… parfait. Voici votre objectif. Nom de code Saint-Tropez Réglons nos montres à l’heure H moins trois, moins deux, moins une. Madame, restez assise…! »

Vive émotion du veuf.

« Paf, entre les deux yeux…

— Vous avez vu, elle s’est levée d’un coup !

— Tutute..vous avez tiré trop bas, beaucoup trop bas.

— Maintenant que vous me le dîtes.

— Ne faîtes pas l’enfant, reposez moi cette arbalète et mangeons – ça va refroidir. »

Caprices de cervelle à la vertigo.

 » Cervelle, gentille cervelle, » susurra Corps-Pion, en regardant avec amour celle d’un mouton. Et l’accent du Béarn, mâtiné de marseillais, ne fut pas pour rien dans les gloussements huileux de Paulette — sise à sa grosse caisse —, et les rires graillonnants de son cocu de mari, boucher de son état.

Corps-pion le joli cœur, qui fréquentait assidûment génisses, bœufs, veaux, porcs et moutons, s’illuminait à l’évocation de croustades d’amourettes moelleuses ; laissait libre cours à sa fantaisie pour décrire les tendresses d’une langue sauce madère ; célébrait comme pas un la fraise ; ne tarissait pas d’éloges sur les bienfaits du cœur ; épatait son auditoire en énumérant les mille et une saveurs des pieds et ne boudait jamais son plaisir à détailler les appas gracieux d’une  » reine de tétine « . Quant à la cervelle, c’était une merveille « à s’en faire péter la sous-ventrière  ! » 

De par le vaste monde, nombre d’indigènes bigarrés se repaissent de mets variables, souvent hétéroclites, parfois vivants, et toujours bien de chez eux. Croquechoux, lecteur zélé de Geographica universalis, le savait. Et comme il se flattait d’une ouverture d’esprit plus grande qu’un champ de vision de perdrix, il se sentit honteux d’ignorer, par excès de conformisme popote, un abat réputé si délectable. Aussi, quand le cocu magnifique avec ses moustaches en croc lui demanda:  » et c’est quoi qu’il prendra, Choupinou ?  » il s’entendit commander d’une voix fluette de bedeau découvrant l’amour :  » Une sympathique cervelle pour quatre vigoureux mousquetaires. » Ce soir il régalait des collègues. Aussitôt dit, aussitôt servi bon poids.

Son accessoire de mouton sous le bras, fier et superbe comme un tambour, Croquechoux sortit allegro en sifflotant guilleret le régiment de Sambre et Meuse. On vivait une heure ensoleillée. L’azur était céruléen. L’atmosphère était apéritive. Chaque bistrot, judicieusement placé sur la route du retour, fut l’occasion d’une station désaltérante.

On y admira la cervelle, on loua sa fraîcheur de pucelle, on s’extasia sur son teint diaphane, sa fermeté et sa joliesse de coiffe bigoudène et ses parfums de sous bois à la noisette. On trinqua, on leva gaillardement le coude, on chassa une mouche bleue, on s’échauffa, et on livra, entre muscadet et suz’cass’, de remarquables recettes de famille en gueulant comme des putois. On devait être un peu éméché , car une recette c’est un secret, et qu’un secret c’est un secret : on se le garde. 

          De retour dans sa cambuse, Croquechoux, fin saoul, ne se lasse pas de contempler les vermiculures de la cervelle qui lui donne tantôt l’aspect d’un plâtre délicatement rongé, tantôt celui d’une motte de saindoux précieusement ouvragée.

Décidément, le plat de résistance à venir ne ressemble en rien au siège de l’intelligence rangé dans sa propre boîte crânienne, mais il est vrai que le mouton est aussi bête qu’une poule.

          A force de suivre, tant bien que mal, les méandres de la cervelle, il lui trouve, au détour d’une sombre tranchée, l’ air harassé d’une vieille fesse vergetée.

          Il rougit, cligne des yeux et instantanément paraît, là, dans sa main droite, une chose informe et fripée. Sursaut. Frissons. Croquechoux éternue formidablement sept fois ; s’exclame :  » Hors de moi démoniaque engeance qui entre par le nez en trompette de l’homme pour le chatouiller !  » ; se mouche bruyamment entre pouce et index et voit, en lieu et place de la cervelle, un Jésus spongieux qui tremblote dans ses langes !

          Estomaqué, livide, Croquechoux lâche une bordée d’injures charretières et envoie le monstre dinguer dans l’évier où marine la vaisselle de la veille, trois chaussettes et une poignée d’épluchures dans leur bouillon javellisé.

          D’un trait il boit le bol d’eau vinaigré destiné à baigner sa cervelle, ce qui achève de lui glacer les sens.

          Il croque nerveusement dans le premier bouquet garni passant à sa portée, ce qui lui coupe définitivement l’appétit.

        Hagard, il mâchouille des feuilles de laurier sauce, du thym poussiéreux et un bout de ficelle, le tout relevé d’ail et de clous de girofle, quand une odeur âcre enfumant ses narines le sort de sa torpeur : Les patates de terre brûlent à feu vif leur robe des champs.

A. Cohen. Croquechoux.

Le mot

Avanti ! J moins des bananes.

Bientôt le temps des crottes. Une recette pour animer les réveillons où l’on s’emmerde à 100 sous de l’heure : la crotte Marguerite, à base de cacao enrichi de tétine-de-chèvres et d’oreilles-de-tortue. Deux plantes natives des Monts d’Arrée dont je tairai le nom latin et breton pour ne pas avoir d’ennuis. En plus les raveurs de permanence à Botmeur seraient capables de nous les bouffer toutes.


Réveillon de Noël 2006, transcription d’un enregistrement.

(suite…)