Un petit conte de Noël de Ploermël

On est pauvre, on n’a pas eu son prêt bancaire, on est ulcéré, pourquoi ne pas lire un conte de Noël édifiant pour se redonner le moral ?  Ce conte recueilli auprès de Fañch Binig par M. taupin-Brognard, a été traduit en français contemporain par moi-même. On y sent sourdre chrétiennitude et  celtité.

guillemetLes bretonnes sont filles du pêché, comme les autres, mais elles sont de bonnes ménagères, dures au labeur, attentives aux intersignes et respectueuses des âmes en peine qui manifestent leur présence les jours précédents Noël. Gloada était de ces chrétiennes, toujours au four et au moulin, au cimetière et à l’église, à la machine à laver et au fer à repasser… Héla elle levait le coude plus souvent qu’à son tour.

Or, la veille d’un réveillon, tandis qu’elle repassait à la patte mouille un tas de sous vêtements en dentelle, elle entendit une petite voix qui disait :

– J’ai un peu trop chaud.

Gloada fit celle qui n’avait rien entendu et continua de repasser une jolie coiffe en pain de sucre telle qu’on en portait à cette époque en Cornouailles du sud dont elle était native. Ce n’était pas le moment d’engager une conversation parce que dès qu’on se met à potiner et à parler de la pluie et du beau temps le travail n’avance pas et il est mal fait.

– J’ai chaud aussi, fit une autre voix.

Gloada qui n’aimait point qu’on insistât et ne supportait pas être interrompue lors d’un repassage délicat sentit la moutarde lui monter au nez. Toutefois elle prit sur elle et continua de repasser la coiffe.

Quelques minutes plus tard, la première voix renouvela sa remarque de manière plus péremptoire :

–  On a vraiment trop chaud !

Alors là, Gloada, bonne fille certes, mais qu’il ne fallait pas trop chatouiller, sortit de ses gonds et s’écria :

– Moi aussi j’ai chaud ! Mais j’emmerde personne, moi ! Parce que j’ai du boulot, moi ! Et que chaud ou pas il faut que ça se fasse ! Et elle vida cul-sec une bolée de lambic maison de derrière les fagots pour se calmer et parce qu’il faisait soif par cette satanée chaleur. Quant à la voix, mouchée, elle se tînt coite.

Cependant, au bout d’un moment, Gloada, regrettant de s’être laissée emporter comme un palefrenier de sexe dur, demanda :
– Vous avez toujours chaud  ?
–  Uiii, lui répondit-on faiblement à l’unisson.
– On nous ferait pas une petit poussée de fièvre des fois ? Ou si ça se trouverait, on aurait une bonne rage de dents ?
– Teuf, teuf, teuf, répondit la première voix, on crève de chaud surtout parce que tu m’as réglé sur  » toile »
– Nom de Doué ! lâcha la repasseuse qui, sortant fissa des brumes de l’alcool, entr’aperçut en lieu et place de la coiffe mâtinée string, une infâme galette collée à la semelle du fer qui puait son pneu à cent lieues et dégageait une épaisse fumée noirâtre.
– Ma pov’ dentelle ! Mon pov’ fer ! C’est pas pour me vanter, mais j’ai eu la main lourde, conclut-elle !

Puis, n’écoutant que son bon cœur, la Finistérienne plongea illico le fer à repasser et la coiffe dans une bassine d’eau fraîche.

Rentrant de son absence de travail, Billig, le mari chômeur, ne put que constater le décès de l’infortunée Gloada par électrocution.

Dieu avait en effet punie l’intempérance cause de tant de négligence. Mais, comme la ménagère avait dans un dernier sursaut de lucidité sauvé par la noyade l’âme errante d’un mort qui brûlait dans le purgatoire de son fer à repasser, Dieu la fit monter directement au ciel. Et c’est ça le plus important.