Mis en présence d’un nid d’hirondelle à la citronnelle, l’Occidental se prend à user de baguettes comme il se cure le nez à un feu rouge, machinalement. Qu’il se sente observé, il arrête là son ménage, jette des regards furtifs, sifflote un air improbable, cale.
Observons-le ostensiblement à table, à l’œuvre…
Il s’emmêle les pinceaux, il pointe une baguette vers le plafond, en fait tomber une autre à terre, en plante une troisième dans un bol de riz et lâche un morceau de manger insectifuge à la citronnelle qui se métamorphose en anoure.
Anoure chez qui la petite tête verdâtre, la taille de guêpe humide et la peau de pêche visqueuse annonce au citadin la grenouille.
Évènement rare, certes, cependant qu’attesté chez les meilleurs auteurs. L’étonnement du lecteur s’explique par un fait attristant : le Français ne lit plus, il écrit son autobiographie sur son pas de porte.
À ce stade du récit, la question qui se pose n’est pas : « Est-ce possible ? » mais : « Que faire ? » Oui, que faire d’une grenouille qui, au chapitre CLXXXVIII de Ma Vie et Moi, vous tombe impromptue sur les bras ? L’orthodoxie des contes qui préconise le chaste baiser fait l’impasse sur la vérification préalable du sexe : « T’es une mémère ou un pépère ? » susurre l’autobiographe.
Tétanisée par cette langue inconnue d’elle, la bête ne répond pas, puis, remise en fonction par un mécanisme complexe, elle fuit en arabesques, jetés, cabrioles, déboulés, pirouettes, soubresauts, élévation, ballon…On le voit, du moins on l’imagine, de bond en bond tout n’est qu’impétuosité.
Rumeurs admiratives dans le public.
Et l’homme ne se trouve-t-il pas fort dépourvu ? Si. Mais laissez-moi poursuivre — hum, ce hongputaojiu, est un petit vin de pays sans prétention qui, en vieillissant, fera un excellent vinaigre — je reprends : l’homme qui tente de rattraper son manger, court de droite à gauche mais vite épuisé, tire bientôt l’échelle, jette l’éponge et, en lieu et place des leeches au sirop, commande une arbalète.
« Dîtes-moi, on ne s’ennuie pas à la Pagode Impériale du Tigre de Jade !
— C’est ainsi dans la restauration extrême orientale. Mais examinons ensemble l’arbalète. Elle nécessite, pour une utilisation dans les règles de l’art, une lecture attentive de son mode d’emploi dont on exigera la traduction en français moderne. Ceci fait l’amateur s’interroge encore : « Où atteindre la cible qui me nargue ? » Observez, cher ami, la planche anatomique D2 représentant l’animal dans le plus simple appareil. Allons, ne rougissez pas, chaussez vos yeux de peintre, donnez-moi la main et repérons ensemble l’emplacement du cœur.
— là ?
— Un peu plus haut… parfait. Voici votre objectif. Nom de code Saint-Tropez Réglons nos montres à l’heure H moins trois, moins deux, moins une. Madame, restez assise…! »
Vive émotion du veuf.
« Paf, entre les deux yeux…
— Vous avez vu, elle s’est levée d’un coup !
— Tutute..vous avez tiré trop bas, beaucoup trop bas.
— Maintenant que vous me le dîtes.
— Ne faîtes pas l’enfant, reposez moi cette arbalète et mangeons – ça va refroidir. »